Quelle terre végétale pour les plantations urbaines de demain ?
Trouverons-nous encore de la terre végétale de bonne qualité agronomique pour les espaces verts des villes ? Pour répondre à la question, le Lien revient sur les conférences et colloques tenus récemment sur le sujet. En contrepoint, David Guillemant donne son avis de formateur-chercheur et Matthieu Valé, docteur en agronomie, présente les nouvelles méthodes d'analyse de la qualité des sols disponibles « en routine ».
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La question de l'approvisionnement en terre végétale des villes est un sujet d'actualité qui fait débat. Certains s'alarment des prix en forte hausse ces dernières années et de la raréfaction du matériau ; d'autres ne semblent pas aussi pessimistes. Cette vision, a priori contradictoire des choses, est en fait le fait d'une approche sur une échelle de temps différente.
Des besoins liés à la nécessité de recréer des sols fertiles en ville
Dans la plupart des cas, les sols que l'on trouve dans les agglomérations urbaines ont été remaniés à la suite de travaux d'aménagement. Ils ont des structures hétérogènes et possèdent des qualités agronomiques et structurelles insuffisantes pour accueillir des plantations dans de bonnes conditions. En particulier, ils sont souvent compactés pour permettre la création de surfaces portantes destinées à accueillir des véhicules ou des piétons. Or un sol compact est peu perméable à l'air et à l'eau, deux éléments indispensables à la croissance des végétaux. En outre, ce sol compact ne permet pas une bonne exploration du milieu par le système racinaire, ce qui pose des problèmes non seulement pour la nutrition mais aussi, à plus long terme, pour l'ancrage et la stabilité des végétaux ligneux de grandes dimensions comme les arbres.
Pour disposer de sols favorables au développement des plantations, les professionnels du paysage choisissent le plus souvent d'extraire les terres jugées stériles pour les remplacer par un matériau fertile, que l'on appelle communément « terre végétale ». Cette dernière provient généralement du décapage de terres agricoles en phase de reconversion, c'est-à-dire destinées à l'urbanisation ou à la construction d'infrastructures de transport. Elle possède des caractéristiques variables selon les régions et le type de cultures qu'elle a pu accueillir auparavant. Elle a aussi évolué au fil du temps. « Ainsi pour l'approvisionnement de la ville de Paris, elle venait de la petite couronne, où prédominaient les cultures maraîchères avant 1950 », souligne François Nold, chef du laboratoire d'agronomie à la direction des espaces verts de la ville de Paris. « Alors qu'aujourd'hui, elle est extraite dans la ceinture verte et, au-delà, dans la grande couronne, où prédominent les cultures agricoles. » Les anciennes terres de la petite couronne étaient sableuses, modérément argileuses, avec un taux de calcaire important, assez riches en matières organiques, pauvres en potasse et avec un excès de phosphore lié à la présence d'éléments exogènes (débris de construction, excréments d'animaux). La terre récente de la grande couronne est limoneuse, argileuse, pauvre en calcaire, avec un taux de matières organiques faible, et moyen pour la potasse et le phosphore.
En fonction de leurs caractéristiques, les terres végétales seront utilisées telles quelles (rarement), enrichies par des amendements (cas le plus courant), ou en association avec des granulats, dans le cas de la création de mélanges terre-pierres.
Un gisement qui se raréfie ?
Allons-nous manquer de terre végétale pour les aménagements d'espaces verts en milieu urbain ? La question a notamment été posée au cours du dernier colloque de l'Itiape (Pôle Paysage du Groupe ISA) en mai 2011, lors d'un atelier portant sur « l'approvisionnement en terre végétale pour les aménagements urbains ». Les points de vue sont différents selon l'échelle de temps sur laquelle on raisonne. Si on se place dans une vision à court terme, nombre de gestionnaires de villes considèrent que le matériau ne manque pas, y compris à proximité des grands centres urbains. En effet, on trouve encore actuellement de grands chantiers d'aménagement urbain pris sur d'anciennes terres agricoles. La question de l'augmentation du coût du matériau reste toutefois d'actualité, avec un prix fortement lié au prix du transport, qui représente près des deux tiers du coût global – 15 à 25 euros le m3 HT, transporté et régalé (1). La difficulté d'approvisionnement des chantiers situés en coeur de ville existe aussi.
« Si l'on raisonne à plus long terme, la donne change », souligne Michaël Fayaud, du bureau d'études Sol Paysage. Car le développement des villes se fera dans un nouveau contexte, celui du Grenelle de l'environnement, qui souhaite enrayer la consommation de surfaces agricoles ou naturelles. En effet, les résultats d'études telles que celle publiée en avril 2009 par le Corine Land Cover, inventaire européen sur l'occupation biophysique des sols, ont permis de confirmer qu'entre 2000 et 2006, la progression des espaces artificialisés a été de 3 % en France (820 kilomètres carrés), à plus de 90 % aux dépens d'espaces agricoles, ce qui représente 223 millions de mètres cubes de terres labourables.
En Île-de-France, une étude de l'institut d'aménagement et d'urbanisme de Paris (Iaurif) montre que la perte définitive de terres agricoles est évaluée à 1 000 ha/an. Rapportée à la couche arable, cela représente un volume de 3 millions de m3, dont les espaces verts forment le débouché naturel.
Les nouvelles orientations des politiques de la ville en faveur du développement durable cherchent à contrer ce grignotage et à promouvoir la reconstruction de la ville sur elle-même. Dans ce contexte, la terre végétale ne sera plus autant disponible et son utilisation remise en question, car c'est une ressource considérée comme non renouvelable, qu'il faut donc protéger.
Des pistes pour travailler avec de nouveaux substrats de plantation
Les professionnels, qui se placent dans une démarche prospective, cherchent à développer des solutions innovantes pour trouver des alternatives à la terre végétale comme support de plantation, avec une réflexion à la fois technique, environnementale et économique. L'un des axes majeurs de travail est de chercher à utiliser des matériaux autrefois décapés et évacués en décharge.
Un programme de recherche sur les sols urbains, baptisé Siterre et piloté par Plante & Cité (2), a débuté en 2011 et s'achèvera en 2014. L'objectif est d'analyser les potentialités de différents matériaux issus de la déconstruction des villes qui pourraient être utilisés en remplacement de la terre végétale. La première phase, une étude bibliographique portant sur « l'état des lieux des connaissances sur les sols en milieu urbain et des acteurs scientifiques dans le domaine de la caractérisation agro-pédologique et de la cartographie », est achevée. Elle a permis de sélectionner onze matériaux dits « modèles », minéraux et organiques, qui vont faire l'objet d'une étude approfondie : déchets de briques, béton concassé, déchets de déconstruction de bâtiments en mélange, ballast usagé de chemin de fer, pneus usagés, terres de déblais excavées non polluées, déchets verts broyés, compost normalisé associant déchets verts et boues de station d'épuration, déchets de balayage de rues triés, boues papetières, boues de station d'épuration brutes. Ces matériaux sont analysés en conditions contrôlées, chacun séparément puis en mélange. Les analyses porteront sur leurs propriétés agronomiques et mécaniques, ainsi que sur leur innocuité vis-à-vis de la santé humaine et de l'environnement. Les résultats du programme doivent permettre de développer de nouveaux procédés de construction de sol utilisant des matériaux alternatifs à la terre végétale. L'objectif est également de rédiger un guide méthodologique à destination des professionnels pour une mise en oeuvre opérationnelle.
Yaël Haddad
(1) Étalé, mis en place. (2) Programme financé par l'Ademe. Présentation détaillée et liste des partenaires sur le site Internet www.plante-et-cite.fr
Pour stocker la terre végétale dans de bonnes conditions, les andains ne doivent pas dépasser 2 mètres de haut et doivent être légèrement aplatis sur le dessus pour favoriser le ruissellement de l'eau. PHOTO : SOL PAYSAGE
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